Publié en avril 2018, le présent document est le premier de trois documents de discussion liés à l’initiative Acteurs du changement que diffuseront CAMH et son partenaire principal, la société Morneau Shepell, dans le but d’inciter les Canadiennes et les Canadiens à se joindre à la conversation nationale sur la santé mentale, conversation qui débouchera sur un symposium des acteurs du changement, le 23 mai 2018.

INTRODUCTION

Les préjugés demeurent une barrière considérable pour le grand nombre de Canadiennes et de Canadiens qui cherchent de l’aide. Certains attendent qu’une crise éclate avant de parler de leur défi lié à la santé mentale ou à une dépendance, tandis que d’autres ne cherchent jamais d’aide, ou cherchent en vain jusqu’à ce qu’on les perde à jamais.

À l’automne 2017, CAMH a célébré les 150 acteurs du changement qui lancent de nouveaux dialogues sur la santé mentale et les dépendances et qui incitent les Canadiennes et les Canadiens à reconnaître que nous sommes tous touchés par la maladie mentale. Les témoignages des acteurs du changement ont attiré l’attention sur les réalités suivantes :



  • le large éventail de groupes auxquels les gens s’identifient (communautés sportives, groupes ethnoraciaux comme les Canadiens noirs ou d’origine chinoise, etc.) et qui peuvent manquer d’expérience à l’endroit de la maladie mentale, ou d’ouverture à une discussion sur le sujet :

    • Stacey-Ann Buchanan encourage les Canadiens noirs à parler de leur santé mentale.
    • Jack Hanratty entraîneur de rugby, est chef de file dans sa communauté de rugby lorsqu’il s’agit d’aborder la santé mentale.
    • Stewart Skinner est un fermier qui veut que ses pairs s’ouvrent davantage sur les taux élevés de maladie mentale dans leur métier.


  • le fait que pour un grand nombre de défenseurs des soins de santé mentale, le changement a commencé par une tragédie, et qu’ils ont trouvé leur voix après avoir manqué se suicider ou après avoir perdu un être cher au suicide :

    • Des « Friendship Benches » (bancs de l’amitié) sont en train d’apparaître sur des campus universitaires et dans des écoles secondaires du Canada. Leur présence encourage les étudiants à parler de la santé mentale. Sam Fiorella a créé ces bancs jaunes à la mémoire de son fils, Lucas.
    • Florence K souhaite qu’on parle enfin de la maladie mentale comme on parle de tout autre problème de santé.
    • rofondément affecté par le suicide de son cousin Matt, Steven Leong s’est inspiré de l’amour de Matt pour la musique pour réduire la stigmatisation entourant le suicide et la maladie mentale.


  • le fait qu’inspirer les gens n’est qu’un premier pas. Nous devons également veiller à fournir des soins de haute qualité, en temps opportun, à tous les Canadiens et Canadiennes qui cherchent une aide. Ces soins doivent être axés sur la personne, et doivent reconnaître la diversité d’identités et de besoins particuliers à chaque personne :

    • Secoué par un appel traumatisant qu’il a reçu en tant que secouriste d’urgence, Vince Savoia tient à s’assurer que l’ensemble des intervenants en sécurité publique aient accès à un soutien en santé mentale.
    • Frustrée par un système défectueux, Kaitlinn Gammon parle pour inciter au changement et pour que d’autres jeunes reçoivent l’aide qu’on ne lui a jamais offerte.
    • Dr. Jennifer Mervyn mise sur la tradition pour répondre aux besoins des jeunes Autochtones.


CREUSER PLUS À FOND
Le besoin d’aide, nous l’avons tous

Les témoignages des acteurs du changement reflètent clairement un besoin d’aide important et croissant. De plus en plus de communautés comprennent qu’en réalité, nous sommes tous touchés par la maladie mentale, qu’il s’agisse de notre propre expérience ou de celle de personnes de notre entourage :

  • En 2016, selon les estimations, plus de 7,5 millions de personnes un Canadien sur cinq étaient aux prises avec une maladie mentale, un chiffre qui dépasse la population combinée de nos 13 capitales provinciales, ou deux fois le nombre de personnes atteintes d’une maladie du cœur ou du diabète de type 2, tous groupes d’âges confondus. 1

  • Sur les quelque 7,5 millions de personnes atteintes d’une maladie mentale en 2016, plus de la moitié souffrait d’anxiété ou d’un trouble de l’humeur, et le quart d’un trouble lié à l’abus d’alcool et de drogues. 2

  • 70 p. 100 des problèmes de santé mentale apparaissent à l’enfance ou à l’adolescence 3Les jeunes de 15 à 24 ans sont plus susceptibles d’avoir une maladie mentale ou un trouble lié à l’abus d’alcool et de drogues que tout autre groupe d’âge. 4

  • Selon les chercheurs, lorsqu’on prend en compte les années de vie perdues en raison d’un décès prématuré ou d’un fonctionnement réduit, l’impact de la maladie mentale est plus d’une fois et demie supérieur à celui de tous les types de cancer combinés. 5

  • L’impact de la maladie mentale s’étend à tous les membres d’une famille. En 2012, environ 38 p. 100 des Canadiens avaient au moins un membre de leur famille qui était aux prises avec un problème de santé mentale, tandis que pour 22 p. 100 des Canadiens, il s’agissait de plus d’un membre de leur famille. 6

  • Bien que demeurant une fraction minoritaire de la population, le nombre de Canadiens qui disent avoir parlé de leur santé mentale à quelqu’un continue à augmenter, passant de 31 p. 100 en 2014 à 35 p. 100 en 2016, puis à 42 p. 100 en 2017. 7

  • “De nombreux immigrants de Chine continentale luttent contre une maladie mentale, mais ils connaissent mal ce sujet et ils ont peur de chercher de l’aide à cause des préjugés qui l’entourent. Grâce à mes efforts, beaucoup de gens de la communauté ont approfondi leurs connaissances (…) et ont acquis des compétences en matière de dépistage précoce. Je veux qu’ils soient de plus en plus nombreux à pouvoir surmonter leur peur de chercher de l’aide lorsqu’ils ne se sentent pas bien mentalement.”

    Liping Peng, actrice du changement de CAMH et travailleuse en santé mentale à la Hong Fook Mental Health Association

Liping Peng
Liping Peng, actrice du changement de CAMH et travailleuse en santé mentale à la Hong Fook Mental Health Association
Mackenzie Murphy
Mackenzie Murphy, actrice du changement et défenseure des soins de santé mentale aux jeunes
Gary Thandi
Gary Thandi, acteur du changement et fondateur du service aux familles Moving Forward
La tragédie serait d’attendre jusqu’à ce qu’il soit trop tard

Les nombreuses mises en nomination d’acteurs du changement ayant vécu le suicide d’un être cher ou ayant lutté contre des pensées suicidaires reflètent l’impact dévastateur du suicide dans la vie d’un grand nombre de Canadiennes et de Canadiens. Bien que les 150 acteurs du changement de CAMH aident en grand nombre à changer la manière dont nous parlons du suicide et la façon dont nous le prévenons, le besoin d’un changement plus vaste et mieux coordonné n’en demeure pas moins urgent :

  • Près de 4 000 Canadiens se suicident chaque année, soit près de 11 suicides par jour en moyenne. 8

  • Plus de 75 p. 100 de ceux qui se suicident sont des hommes, mais les femmes font une tentative trois à quatre fois plus souvent. 9

  • Plus de la moitié des personnes qui se suicident ont 45 ans ou plus. 10

  • Le suicide est la deuxième cause de décès, après les accidents de la route, chez les 15 à 34 ans. 11

    • En 2012, le suicide était la cause de 17 p. 100 des décès chez les jeunes de 10 à 14 ans, de 28 p. 100 chez les 15 à 19 ans, et de 25 p. 100 chez les adultes de 20 à 24 ans. 12

  • Chez les jeunes des Premières nations, le suicide est environ cinq à sept fois plus fréquent que chez les jeunes nonAutochtones. Les taux de suicide des jeunes Inuits sont parmi les plus élevés au monde, soit 11 fois plus que la moyenne nationale. 13

  • Parmi les personnes qui courent un risque élevé de suicide, citons celles qui ont une maladie mentale ou une dépendance grave, qui ont des antécédents familiaux de suicide, ou qui ont déjà fait une tentative de suicide. 14

  • “Pour ma part, j’ai été témoin du courage dont une personne a fait preuve pour parler de son cheminement à travers sa maladie mentale, ce qui m’a donné la force de poursuivre mon chemin à moi (…) Je veux que les jeunes soient mieux représentés dans la communauté de la santé mentale (...) [car ils] ont des connaissances de première main et des idées fantastiques (…) et ils sont prêts à faire des vagues. Il leur manque seulement quelques adultes attentionnés qui leur donneraient l’occasion de faire entendre leur voix.”

    Mackenzie Murphy, actrice du changement et défenseure des soins de santé mentale aux jeunes

Saisissons l’occasion : un accès facile aux soins appropriés

Les acteurs du changement qui ont raconté comment ils ont réussi à accéder aux soins dont ils avaient besoin, ou comment ils ont aidé d’autres personnes à y accéder, nous donnent l’espoir qu’il existe des soins appropriés, offerts en temps opportun, et qui font une différence. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas pour tout le monde :

  • De plus en plus de Canadiennes et de Canadiens tentent d’obtenir des soins. La proportion de gens qui disent avoir parlé de leur santé mentale à un conseiller, à un psychologue ou à un psychiatre est passée de 11 p. 100 en 2015 à 16 p. 100 en 2017, et la proportion de gens qui disent en avoir parlé à leur fournisseur de soins de premier recours est passée de 16 p. 100 en 2015 à 23 p. 100. 15

  • Lorsqu’il existe des soutiens, les gens y accèdent. En 2017, près de la moitié (45,7 p. 100) des clients ayant accès aux programmes d’aide aux employés et à leur famille offerts par la société Morneau Shepell avaient donné comme raison principale de leur démarche la santé mentale, une dépendance ou le stress. 16

  • La hausse du nombre de personnes qui tentent d’obtenir des soins est une conséquence positive des efforts de réduction des préjugés. Toutefois, à moins que des ressources soient affectées pour répondre à la demande croissante de services, il y a un risque que les temps d’attente augmentent. En Ontario, par exemple, le rapport de 2016 de la vérificatrice générale a révélé que dans les hôpitaux psychiatriques spécialisés, les patients attendent désormais plus longtemps qu’il y a cinq ans pour obtenir un lit d’hospitalisation ou pour accéder à un programme de consultation externe. 17

  • Le tiers des Canadiens âgés de 15 ans ou plus qui disent avoir eu besoin de soins de santé mentale au cours de l’année écoulée déclarent que leurs besoins n’ont pas été totalement satisfaits. 18

  • Seulement la moitié des Canadiens qui ont eu un épisode dépressif majeur reçoivent un « traitement potentiellement adéquat ». 19

  • Un certain nombre de groupes par exemple, les communautés marginalisées comme les jeunes LGBTQ+, 20 et les membres de certaines professions comme la sécurité publique 21- courent un risque élevé de développer une maladie mentale ou une dépendance, et ont des besoins particuliers, différents de ceux de la population générale. Lorsque des services appropriés leur sont offerts, cela peut transformer leur vie :

  • “Au fil des années, j’ai travaillé dans de nombreux domaines liés au travail social et au counseling, dans les secteurs gouvernemental, à but non lucratif, hospitalier et universitaire, et je me suis souvent heurté au même défi : la nécessité de collaborer et de vaincre la mentalité de cloisonnement. Pourtant, j’ai bien vu que ces obstacles persistent malgré la reconnaissance universelle de la souffrance qu’ils engendrent. J’ai donc décidé d’agir en établissant un service de counseling ouvert à tous et en collaborant avec des personnes et des groupes qui partagent mon point de vue pour fournir le meilleur soutien qui soit à nos clients mutuels. Nous offrons un counseling et un soutien à près de 2 000 clients par semaine, et nous accueillons de 30 à 40 nouveaux clients par semaine (y compris ceux qui viennent de leur propre initiative). Ces clients n’auraient autrement jamais pu accéder à un tel service, ou alors ils auraient été obligés d’attendre des mois, voire des années. C’est une souffrance évitable.”

    Gary Thandi, acteur du changement et fondateur du service aux familles Moving Forward

CONCLUSION

Un nombre croissant d’intervenants bien placés pour changer la donne reconnaissent le besoin d’améliorer l’accès à des services et soutiens en santé mentale de haute qualité. Qu’il s’agisse d’annonces récentes d’investissements dans un meilleur accès, de services de psychothérapie au Québec et en Ontario financés par l’État, d’employeurs qui investissent pour instaurer des milieux de travail plus « sains mentalement », ou encore de nombreux acteurs de la différence qui montrent la voie vers le changement, nous enregistrons des progrès. Comment tirer parti de cet espoir pour que le mouvement de la santé mentale continue à progresser ? Cette question est d’une importance critique, et elle sera abordée dans les deux prochains documents de discussion de l’initiative Acteurs du changement. Le deuxième document de discussion, qui sera bientôt publié et qui portera sur le thème de la Connexion , abordera la question sous l’angle des espaces « mentalement sains » ; le troisième document de discussion portera sur le thème de l’ Innovation.

1Smetanin, P., D. Stiff, C. Briante, C.E. Adair, S. Ahmad, et M. Khan. The Life and Economic Impact of Major Mental Illnesses in Canada: 2011 to 2041, pour le compte de la Commission de la santé mentale du Canada, RiskAnalytica, Toronto, 2011.

2Ibid.

3Gouvernement du Canada. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Aspect humain de la santé mentale et de la maladie mentale au Canada, Ottawa, no de cat. HP5-19/2006F, 2006.

4Pearson, C., T. Janz et J. Ali. Coup d’oeil sur la santé : Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada, Statistique Canada, no 82-624-X au catalogue, 2013.

5Ratnasingham, S., J. Cariney, J. Rehm, H. Manson, et P. Kurdyak. Opening eyes, opening minds: The Ontario burden of mental illness and addictions report, Institute for Clinical Evaluative Studies (ICES), 2012.

6 Pearson, C. Coup d’œil sur la santé : L’incidence des problèmes de santé mentale sur les membres de la famille, Statistique Canada, no 82-624-X au catalogue, 2015.

7 Ispos. Public Perspectives: 3rd Annual Canadian Mental Health Check-Up, 2017. Page consultée : https://www.ipsos.com/sites/default/files/2017-08/IpsosPA_PublicPerspectives_CA_April%202017%20Mental%20Health.pdf

8Statistique Canada. Principales causes de décès, population totale, selon le groupe d’âge et le sexe, Canada, tableau CANSIM 102-0561, 2015.

9Ibid.

10Ibid.

11Ibid.

12Ibid.

13Santé Canada. Santé des Premières nations et des Inuits Prévention du suicide, 2018. Page consultée : https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/sante-premieres-nations-inuits/promotion-sante/prevention-suicide.html

14Centre de toxicomanie et de santé mentale. Mental Health and Addiction Information: Suicide, 2018. Page consultée : http://www.camh.ca/en/hospital/health_information/a_z_mental_health_and_addiction_information/suicide/Pages/default.aspx

15Ispos. Public Perspectives: 3rd Annual Canadian Mental Health Check-Up, 2017. Page consultée : https://www.ipsos.com/sites/default/files/2017-08/IpsosPA_PublicPerspectives_CA_Aprilper cent202017per cent20Mentalper cent20Health.pdf

16Morneau Shepell. Annual utilization trends, 2017.

17Ontario, Bureau de la vérificatrice générale. Rapport annuel 2016, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2016. Page consultée : http://www.auditor.on.ca/fr/content-fr/annualreports/arreports/fr16/v1_312fr16.pdf

18Pearson, C., T. Janz et J. Ali. Coup d’œil sur la santé : Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada, Statistique Canada, no 82-624-X au catalogue, 2013. 

19Patten, S. et coll. « Major depression in Canada: what has changed over the past 10 years? », Revue canadienne de psychiatrie, no 61 (2016), p. 80-85. Traduction libre de l’anglais : Un « traitement potentiellement adéquat » est défini comme étant « le fait de prendre un antidépresseur ou de consulter un professionnel de la santé au moins six fois pour des raisons de santé mentale ».

20Taylor, C. et coll. Every class in every school: The first national climate survey on homophobia, biphobia, and transphobia in Canadian schools. Rapport final, Egale Canada Human Rights Trust, Toronto, 2011.

21Carleton, R.N. et coll. « Mental Disorder Symptoms Among Public Safety Personnel in Canada », Revue canadienne de psychiatrie, vol. 63, no 1 (2017). Page consultée : http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0706743717723825